Parmi les notions essentielles que l’on retrouve dans tous les livres d’analyses financières, le sacro-saint EBITDA trône en bonne place dans les manuels, ainsi que dans les annonces boursières. Cet acronyme fait en effet partie des indicateurs d’analyse fondamentaux que l’on étudie lorsqu’on s’intéresse à la performance d’une entreprise.
Mais tâchons d’en savoir plus sur ce que cet acronyme signifie, ainsi que sur la pertinence de son analyse et les limites liées à sa construction.
L’EBITDA, qu’est-ce que cela signifie ?
L’EBITDA est un acronyme d’origine américaine signifiant Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization. Il est communément admis que son équivalent en français est l’EBE, Excédent Brut d’Exploitation. Il s’agit d’un indicateur de performance issu du compte de résultat d’une société, destiné à mesurer sa capacité à dégager une éventuelle marge bénéficiaire à partir de sa seule activité opérationnelle. C’est là son intérêt principal, car il mesure le résultat strictement opérationnel, indépendamment de la structure de financement ou des décisions d’investissement.
Puisqu’il s’affranchit de la structure de financement et des décisions d’investissement d’une société, n’en mesurant que la capacité opérationnelle à dégager un bénéfice, l’EBITDA est un indicateur facilement comparable d’une société à l’autre. On pourrait effectivement s’attendre à ce que deux sociétés actives dans le même domaine dégagent le même niveau de rentabilité opérationnelle. Et c’est là l’un de ses grands intérêts : on peut comparer l’EBITDA de deux sociétés avec un certain niveau de fiabilité quant à leur construction. C’est l’une des raisons pour lesquelles cet indicateur est couramment calculé et utilisé.
Earnings Before ou Earnings After…
En lui-même, cet indicateur est particulier de par sa construction. En effet, la plupart des indicateurs et des ratios que l’on calcule en vue de mesurer la performance d’une entreprise sont le résultat d’une soustraction partant du haut du compte de résultat (after : on considère un seuil intermédiaire de gestion en partant du chiffre d’affaires après prise en considération de certaines charges) plutôt qu’une addition partant du bas (before : on part du résultat final et on réintègre certaines charges). La plupart des seuils intermédiaires de gestion partent du chiffre d’affaires de la société. A titre d’exemple, le calcul de la marge commerciale dégagée par une activité est la différence entre le chiffre d’affaires et le coût d’achat des marchandises vendues (CAMV) : ce montant sert à couvrir toutes les autres charges fixes et variables de la société.
…Earning Before
Afin de calculer le résultat issu de la seule activité opérationnelle d’une entreprise, il est souvent plus simple de partir du résultat net et d’y ajouter les postes de charges indépendants de l’activité opérationnelle de la société. Ce calcul est finalement assimilable à un retraitement du résultat net. Ces postes sont essentiellement les suivants :
- Les postes « Depreciation & Amortization » mesurent la perte de valeur des actifs matériels et immatériels de la société. Ils sont directement liés à sa politique d’investissements. Si une société n’a pas d’actifs matériels ou immatériels inscrits au bilan, elle n’enregistrera aucune perte de valeur sur ces postes. A contrario, si une société dispose d’actifs très importants, la constatation d’éventuelles pertes de valeurs sur ces postes influencera de manière importante le résultat net de la société. Il est donc nécessaire de retraiter le résultat net de la société de ce poste, pour en dégager la capacité bénéficiaire liée à son activité opérationnelle seule.
- Le poste « Taxes » dépend de beaucoup de facteurs totalement indépendants de l’activité opérationnelle de la société. Citons par exemple le résultat fiscal réel de la société (sur la base duquel sera calculé l’impôt), le taux d’imposition, la possibilité ou non, selon les régimes fiscaux, de faire valoir des pertes reportées, etc… Si les sociétés n’ont que très peu de marges de manœuvre concernant leur niveau de taxation, à l’échelle internationale, retraiter la charge fiscale du résultat net de la société est important pour aboutir à des données comparables d’une société à l’autre.
- Enfin, le poste « Interest », soit les intérêts payés sur la dette de la société, dépend directement de la structure et du niveau d’endettement de celle-ci. Autrement dit, ce poste reflète la politique de financement spécifique à chaque société, et peut significativement varier d’une société à l’autre. Certes, ce poste peut avoir un impact important sur la rentabilité réelle de la société, mais il n’est pas directement lié à sa rentabilité opérationnelle.
Par extension, d’un point de vue purement économique, on pourrait aussi considérer comme devant être retraités le résultat financier de la société, ainsi que les produits et charges exceptionnels. Notons cependant que certains référentiels comptables n’intègrent plus ces postes spécifiques, ce qui rend difficile leur retraitement.
Résultat net vs EBITDA
Le résultat net de l’entreprise, soit le résultat dégagé par la société après comptabilisation de l’ensemble de son chiffre d’affaires et de ses charges peut sembler un bon premier indicateur de performance, mais son interprétation est finalement très limitée lorsqu’il s’agit d’analyser plus en détails l’origine et la décomposition de ce résultat.
Prenons l’exemple ci-contre : les sociétés A et B opèrent sur le même marché et dégagent la même marge commerciale.
Le poste « Dépréciation et Amortissements » de la société A indique un montant de kCHF 500, tandis que pour la société B, ce montant est significativement plus élevé, à kCHF 1’700. On peut supposer que la société B dispose de plus d’actifs ou que les actifs de la société A sont déjà bien amortis, donc plus vieux.
Le poste « Intérêts financiers » de la société B est nettement plus élevé pour que la société A. Cela indique que la société B est plus endettée que la société A.
Au vu de ce qui précède, à charge fiscale identique pour les deux sociétés (14%), la société A génère un bien meilleur résultat que la société B. Mais si on calcule l’EBITDA, qui, rappelons-nous, correspond à la rentabilité purement opérationnelle de la société, alors l’EBITDA de la société B est meilleur.
Cet exemple, purement théorique, montre que le résultat net doit être manipulé avec précaution, alors que l’EBITDA est plus pertinent.
Pourquoi est-ce un bon indicateur ?
Outre sa simplicité de calcul et la comparabilité qu’il permet d’une société à l’autre, l’EBITDA est une mesure fiable de la rentabilité de l’activité opérationnelle d’une société. Cette fiabilité en fait un bon indicateur économique, et il est aussi possible de fixer une performance à atteindre, en déterminant un pourcentage du chiffre d’affaires en tant qu’EBITDA. En effet, puisqu’il est comparable au sein d’un même secteur d’activité, il est possible d’en extrapoler un EBITDA moyen à ce secteur et d’estimer la performance de n’importe quelle société par rapport à celui-ci.
Par extension, l’EBITDA mesure aussi la capacité de la société à générer du cash sur la base de sa seule activité opérationnelle. En effet, en retraitant de cet indice toute activité de financement ou d’investissement, on mesure concrètement la capacité d’autofinancement de la société. Cet indicateur est très important pour les bailleurs de fonds par exemple : si l’activité opérationnelle de la société dégage peu de cash, la société aura du mal à financer sa croissance et rembourser d’éventuelles dettes. Les banquiers demanderaient alors des garanties complémentaires, ou augmenteraient leurs taux d’intérêt, face au risque de recouvrement de crédit auxquels ils s’exposeraient.
Enfin, comme l’EBITDA mesure la capacité bénéficiaire de l’activité d’une entreprise, c’est aussi un bon indicateur pour la valoriser. On prend alors un multiple d’EBITDA pour valoriser la société dans son entier, ou le secteur d’activité étudié, en cas de cession d’un pan d’activité.
Un bon indicateur, certes, mais qui a des limites…
Si l’EBITDA demeure un bon indicateur pour mesurer la performance économique d’une entreprise, celui-ci dispose néanmoins de certaines limites qu’il est judicieux de connaître :
- Il s’agit d’une mesure ponctuelle, qui ne s’inscrit pas nécessairement dans la durée, et qui n’est pas non plus nécessairement constante d’une période à l’autre. Par exemple, un actionnaire désireux de vendre sa société pourrait anticiper cette vente et couper de manière exagérée des coûts opérationnels nécessaires afin de maximiser l’EBITDA quelques mois avant la vente : d’éventuelles coupes dans les coûts d’entretien et de maintenance, voire dans les frais de personnel seraient contraires à la bonne marche des affaires, dans l’unique objectif d’embellir la mariée, le temps de la transaction. Lorsqu’un investisseur s’intéresse donc à une cible, il est pertinent de calculer l’EBITDA sur plusieurs exercices pour se faire une idée réelle du niveau de rentabilité que la société dégage.
- Nous avons aussi vu que c’était un bon indicateur, car il permettait de comparer la rentabilité de deux sociétés entre elles. Cependant, dans la mesure où il s’appuie sur des données comptables, et en l’absence d’un système normatif strict tel que les IFRS, il faut avoir conscience que les principes comptables appliqués en vue de l’établissement des états financiers peuvent connaitre des différences significatives. C’est le cas du traitement des leasings par exemple : le Code des Obligations considère les charges de leasing comme des charges opérationnelles (qui viennent diminuer l’EBITDA), alors que les normes IFRS considèrent le leasing comme une méthode de financement de l’investissement, le retraitement consistant à considérer les biens acquis par le biais de leasing comme des actifs à part entière, et constatant par conséquent un coût financier d’une part, et un amortissement d’autre part, ces deux postes n’entrant pas en ligne de compte dans le calcul de l’EBITDA.
- En outre, de nombreuses sociétés s’affranchissent de la règle normative de calcul de l’EBITDA pour lui appliquer certains retraitements ou ajustements soi-disant à caractère exceptionnel, la notion d’exception étant laissée à la seule appréciation du management de la société, qui ne vise qu’à afficher le meilleur des résultats possibles. Par exemple, les compagnies pétrolières affichent un EBITDAX, le X se référant aux dépenses liées à l’exploration de nouveaux gisements. Or, sur la durée, ces dépenses sont nécessaires, récurrentes, etindissociables du modèle économique de ces compagnies.
- Enfin, comme nous l’avons vu dans l’exemple ci-dessus, en ne prenant pas en compte les amortissements (qui peuvent être considérés par extrapolation comme le coût de renouvellement des actifs), l’EBITDA ne tient pas compte de l’usure réelle de l’outil de production. Par extension, la politique d’investissement et la capacité de la société à l’autofinancer sur la durée sont aussi des bons indicateurs de la santé financière d’une société.
Nous constatons donc que l’EBITDA est fortement tributaire des principes comptables appliqués aux comptes de l’entreprise ainsi que de certaines manipulations comptables orchestrées par le management pour le maximiser de manière ponctuelle, au détriment d’une tendance à long terme.
Conclusion
Si l’EBITDA reste globalement un bon indicateur pour les raisons évoquées ci-dessus, tout analyste financier cherchera cependant à croiser ses constatations à la lumière d’autres indicateurs. A ce titre, la notion de Free Cash Flow (flux de trésorerie disponible) désigne l’argent généré par l’entreprise une fois qu’elle a payé les investissements nécessaires à son développement. Cet indicateur mesure en effet la capacité d’une société à dégager de l’argent pour investir ou distribuer des dividendes à ses actionnaires. Le Free Cash Flow est le montant disponible une fois que les investissements nécessaires au bon développement de l’activité et de l’outil de production ont été effectués. Là aussi, une certaine marge d’interprétation de la part du management reste possible… Les dirigeants de l’entreprise peuvent l’utiliser pour rembourser des dettes, verser des dividendes ou diversifier leur activité. Au regard d’un analyste financier, le Free Cash Flow a deux fonctions principales : il mesure la marge de manœuvre d’une société et sert par conséquent à en calculer la valeur.